DÉPLIER N’EST PAS JOUER
Ce qui frappe, c’est la distance signifiante qui sépare la géométrie de ses compositions spatiales du pittoresque de ses petits sujets faits-main. On observe ses modules – dépliés sous la forme de vastes installations ou repliés sous la forme de sculptures – avec suspicion et amusement.
Que sont donc ces étranges « Genter Raum » distribuant aux murs les éléments d’une grammaire picturale en même temps que des miniatures kitsch et autres raquettes de ping-pong carrées (pour mieux se ranger, mon enfant) ? Il y a du « Proun », de l’ex-voto, de l’artefact traditionnel, des souvenirs comme chez Mamie ; il y a des espaces en kit, une esthétique quasi suédoise, un fonctionnalisme d’apparence sage, bois clair et bleu ciel, celui des écoles et des gymnases. Le ping-pong, d’ailleurs, revenons-y : l’artiste en orchestre de savantes parties, entre l’ennui et le faire. Car Claire Gonçalves accumule des objets qu’elle chine aux puces ou qu’elle réalise elle-même : tout un bestiaire en bois, en cire, en bronze, échappé des bibelots sur les commodes et des tableaux de chasse accrochés au-dessus, mais aussi des outils (des tampons à encrer, par exemple) et des surfaces de projection (du plateau de jeu réel ou imaginaire aux carreaux de faïence qu’elle a émaillés d’un vert d’eau subtil). Ses séjours à l’étranger ne peuvent que s’accompagner de l’acquisition de techniques particulières – un savoir-faire souvent à l’origine des pièces. Ses tableautins et figurines s’intègrent et se confrontent dans des dispositifs évolutifs qui tiennent autant du display muséographique que de la structure-témoin. |
Le visiteur croit reconnaître des formes familières mais se heurte dans le même temps à leur mutisme : aucune indication, encore moins de règle(s) du jeu. Les espaces modulaires de Claire Gonçalves pourraient s’apparenter à un établi, une cuisine intégrée, une salle de jeu, un mobile-home, un atelier d’artisan.
Le visiteur ne sait pas toujours s’il peut activer ces œuvres à la dimension pourtant in progress, voire participative. Idéalement, l’artiste souhaiterait pouvoir assurer des « permanences » dans ses expositions afin de faire évoluer ses installations au fur et à mesure ; les « rangements » qu’elle a imaginés construisent une alternative sous forme d’attente. En prenant acte de cette difficulté, elle interroge les conditions de monstration des œuvres, s’amuse à changer des règles qui ne sont pas livrées. Des règles qui sous-tendent néanmoins les différentes mises en place. Dépliés, les modules sont entièrement « rejoués », éclatés dans les lieux qui les accueillent, selon des configurations et des agencements à chaque fois différents. Un cadre, une couleur au mur, une estrade, un revêtement en carrelage, etc. délimitent les espaces composés et ceux, en marge, où sont disposés d’autres constituants potentiels de l’œuvre. Ils (ne) s’y glisseront peut-être (pas) en cours d’exposition. Repliés, comme Rangement 1 et Rangement 2 qui sont présentés dans l’exposition Première 2014, les modules de Claire Gonçalves apparaissent paradoxalement très ouverts : une pensée ordonnée qui ne demande qu’à se déployer. Marie Cantos |